Aristide Briand, artisan de la séparation

de l’Église et de l’État

par Bernard Oudin,

article écrit pour la Ligue de l’Enseignement

 

 

Si l’on garde en mémoire l’influence d’Émile Combes dans la loi de 1905, il ne faut pas oublier l’action décisive du jeune député Aristide Briand qui fait déjà la démonstration de ses capacités diplomatiques dans la mise en place d’une loi qui ne laissait personne indifférent.

 

Janvier 1905.

Depuis un quart de siècle, une lutte sans merci oppose la République et l’Église catholique. Dans les années 1880, Jules Ferry a entrepris la laïcisation de l’école publique, ôtant les crucifix des salles de classes, excluant les ecclésiastiques du corps enseignant. Le conflit s’est exacerbé avec l’arrivée au pouvoir en 1902 d’Émile Combes, anticlérical fanatique, qui interdit la quasi-totalité des congrégations religieuses. En 1904, c’est la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège. Et pourtant le concordat de 1801 n’est pas aboli et le catholicisme reste en principe religion d’État.

Pourquoi ce paradoxe ? Parce que, si les uns ne veulent pas de la Séparation, les autres ne sont pas très sûrs de la vouloir. L’Église, à l’époque très conservatrice – elle n’a reconnu la République que du bout des lèvres – ne se résout pas à renoncer à son rôle temporel. Comme l’a dit Anatole France, « elle ne veut pas être libre, elle veut être souveraine ». De son côté, Combes, en 1902, ne parle pas de Séparation et accepte seulement que la question soit étudiée en commission. La raison de cette réticence est que le Concordat permet à l’État de maintenir un étroit contrôle sur l’Église, d’avoir son mot à dire sur la nomination des évêques, lesquels n’ont même pas le droit de se réunir… Ce n’est qu’en 1904 que Combes dépose un projet de loi, véritable machine de guerre, si antireligieuse que les protestants, jusque-là favorables à l’idée de Séparation, pour des raisons historiques faciles à comprendre, font cause commune avec les catholiques.

Le ministère Combes est renversé en janvier 1905. Le nouveau président du conseil, Maurice Rouvier, est peu au fait des questions religieuses. Il sait pourtant que la Séparation est devenue inévitable mais que le projet de Combes mettrait la France au bord de la guerre civile. En revanche, celui sur lequel planche la commission depuis bientôt trois ans semble plus acceptable.

C’est ici qu’entre en scène Aristide Briand.

C’est encore un quasi-inconnu. Né à Nantes en 1862, il a longtemps milité dans les rangs socialistes et a fait trois tentatives malheureuses avant d’être enfin élu député en 1902. La défection d’un collègue lui permet d’être élu à la commission constituée en vue de la séparation de l’Église et de l’État. Un autre hasard lui vaut d’être nommé rapporteur du projet.

Le gouvernement dépose le projet de loi en février 1905. Le débat s’ouvre devant la Chambre des députés le 21 mars, et dure trois mois et demi, pendant lesquels Briand occupe seul le devant de la scène, ni le président du conseil ni son ministre des Cultes ne se souciant d’intervenir.

L’Histoire retiendra surtout dans quel esprit il a conçu la Séparation, celui d’un divorce, si possible amiable. Briand est un diplomate né. Lui-même est incroyant et, comme tous les hommes de gauche de l’époque, hostile à la religion. Mais, contrairement à certains de ses collègues extrémistes, il préfère restaurer la paix civile et éviter l’affrontement.

Discrètement, il va jusqu’à prendre contact avec les rares membres de la hiérarchie catholique qui sont plus ouverts au dialogue, comme Mgr Fuzet, archevêque de Rouen. Il sait ce que les catholiques, la mort dans l’âme, sont prêts à accepter et les points sur lesquels ils ne transigeraient pas.

Pendant tout le débat, il doit ainsi batailler sur deux fronts. Un jour, il lance à la gauche : « Nous sommes en présence de l’Église catholique, avec la constitution qu’elle s’est donnée et que vous ne pouvez ignorer. Il y a des curés, il y a des évêques, il y a même un pape. Ce sont des mots qui peuvent écorcher les lèvres de certains, mais ils correspondent à la réalité ». Contre la droite, il sait aussi sortir les griffes, rappelant un jour aux députés catholiques qui l’accusent de spoliation que la fortune familiale de certains d’entre eux est faite de biens d’Église confisqués sous la Révolution et rachetés sous l’Empire… Maniant habilement le charme et la menace, il parvient à réunir une majorité sur son texte. Le 3 juillet, la Séparation est votée par 341 voix contre 233. Confirmée ensuite par le Sénat, la loi est promulguée le 11 décembre 1905.

La paix civile n’est pas immédiatement restaurée pour autant. L’année suivante, l’inventaire des biens d’Église sera l’occasion de nouveaux affrontements, et il faudra attendre la guerre et la fraternité des tranchées pour réconcilier croyants et incroyants.

Reste que, grâce à Briand, la société française a franchi, comme il le voulait « sans violence et sans heurts », une étape essentielle.

Une grande carrière l’attend, qui se soldera hélas par un échec : après la paix religieuse, il tentera en vain de réconcilier Français et Allemands, et de restaurer la paix en Europe. Mais ceci est une autre histoire…

 

 

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