COMMENT LA MINE DE
BAUXITE
DU REVEST A
ÉVITÉ LE S.T.O.
par Jacques Mouttet
J’étais en faculté d’Aix
lorsque j’ai vu pour la
première fois des soldats allemands : c’étaient des
motards, ils étaient
au bas du Cours Mirabeau. Ça m’a donné un choc, je suis
rentré immédiatement à
la maison. C’était une impression très
désagréable. Je suis resté ici sans
bouger. Je me suis contenté de faire de la
« résistance très passive »,
c’est-à-dire que le jour où j’ai reçu mon papier
qui disait « Prenez votre
cuillère à pot » (c’était la
première fois que je voyais cette
expression), avec un rendez-vous à la gare pour partir en
Allemagne, je me suis
débrouillé pour m’inscrire à la mine au Revest.
Le comble ! C’est un collaborateur
notoire (de
Toulon) qui m’avait dit que je devais partir en Allemagne et qui me
conseilla
de me camoufler.
Á la mine, au début, personne
n’y allait.
L’Électro-Chimie a fait œuvre de puissance de bienveillance, car
je n’étais pas
le seul.
Et puis un jour, je pense qu’il y a eu
délation,
Monsieur Bertin qui était ingénieur des Mines m’a dit
qu’il fallait venir. Au
début, je travaillais dans les bureaux. Mais un lundi, ils m’ont
dit : « Cette
fois-ci, il faut descendre parce que la Gestapo est venue dimanche et
j’ai été
obligé de jurer que vous étiez un bon mineur, un des
meilleurs ». Il y
avait pas mal de monde dans cette mine. Les deux tiers étaient
des prisonniers
rapatriés, les autres des gens comme moi, des
« camouflés ». Quarante
personnes dont la moitié en surnombre.
On avait des rations spéciales comme
mineurs de fond.
On avait des quantités industrielles de pain, de viande, de
beurre. Le Revest a
bénéficié indirectement de cela car, avec ceux qui
comme moi étaient dans cette
mine pour échapper au S.T.O. en Allemagne, il y avait de
« vrais » mineurs de fond comme Doussaint et
Orlovic. Les
professionnels étaient quatre ou cinq. Ces rations
étaient envoyées par le
gouvernement français.
Malgré cela, malgré les
avantages que nous tirions de
nos récoltes, malgré les échanges que nous
faisions, malgré tous ces
privilèges, mon père a maigri de 27 kg. Il prétend
que cela lui a sauvé la vie
car il était plutôt fort !
Les organisations de résistants que je
connaissais,
c’étaient Camolli, des scouts et l’amiral Baudoin qui
était dans le secteur de
la Valette. C’était un des rares marins qui avait fait un choix.
Il formait les
types pour l’avenir. J’ai connu Camolli avant la guerre. Il a toujours
été
enthousiaste. En 1936, lors de la création des faucons rouges,
il se démenait.
Il sacrifiait ses loisirs pour s’occuper des enfants des autres. Ce
n’étaient
pas mes idées, mais il faut reconnaître son engagement.
Dans la résistance, il
a agi sur le plan local et cela a été reconnu sur le plan
national entre autres
par le général de Gaulle.
Un groupe d’Allemands se tenait dans le
village, près
de la mairie, dans la campagne David, là où se construit
les immeubles. Ces
Allemands n’étaient pas embêtants comme occupants,
c’étaient des territoriaux
plutôt « tranquilles ». Mais malgré
leur passivité, ils se sont
défendus au moment du débarquement. Un dimanche matin,
alors que je partais à
la messe vers 9h15, aux deux cyprès, j’ai vu descendre les
premiers tirailleurs :
c’était la section Serette, à l’époque aspirant.
Ils allaient vers le village,
conduit par René Poch. Ils ont tourné à gauche,
vers l’église. Il y eut alors
des échanges de coups de feu avec les Allemands. La seule
victime fut la
belle-mère de France, Madame Laure, victime d’un arrêt
cardiaque. Les Allemands
faits prisonniers n’ont subi aucune réaction de la population
revestoise qui,
elle, était plutôt à la joie.
La section Serette a continué dans la
vallée. Dans
l’après-midi, le colonel de Linarès a installé son
poste de commandement dans
notre maison. Il y est resté au moins quatre ou cinq jours, avec
le commandant
Sauvagnac et d’autres. C’est ici qu’est venu nous rejoindre le
général de
Lattre de Tassigny. Nous l’attendions vers 13h pour le repas. Devant
son
retard, mon père prit la décision de se mettre à
table sans lui. Le colonel de
Linarès invoquant le caractère difficile du
général insista pour l’attendre.
Mon père se mit à table, suivi de tout le monde. Vers
17h, le général
arriva : mon père fit remarquer au colonel de
Linarès que si nous avions
attendu, nous serions encore à jeun. Nous avons veillé
sur la terrasse, puis le
général est parti pendant la nuit.
Le 23 août, je me suis engagé et
je suis allé vers
Marseille où il y avait des combats très rudes, auxquels
je n’ai pas participé.
J’étais engagé dans le bataillon des Tirailleurs. Je suis
resté avec eux
jusqu’à Stuttgart, donc après l’armistice. J’avais
trouvé une solution assez
agréable : j’étais au groupe Franc. C’était
bien parce qu’on était
tranquille, on était à peu près sûr d’avoir
un toit tous les soirs, sauf quand
on était en mouvement. C’étaient des gens qui avaient une
mauvaise réputation
mais surfaite. Ils étaient toujours dans le P.C. du colonel. On
partait en
patrouille la nuit, on faisait des coups de main, on n’était
jamais à la même
place. C’était relativement confortable puisqu’on dormait
très souvent dans un
lit, cela transcendait la vie. C’était une guerre plus intense
sur une courte
durée. Notre réputation venait de nombreux soldats qui
étaient des maquereaux,
des voyous. On nous a appelés « les trente
salopards ». Mais enfin,
cela était du folklore.
En décembre 1944, je suis revenu au
Revest car j’ai
été blessé par un coup de pas de chance. Je me
suis retrouvé sur la trajectoire
d’une ligne d’obus. On partait pour un coup de main relativement
sérieux et on
avait trois petits chars avec nous, pour aller libérer une ville
des Vosges.
Malheureusement le bruit des chars a attiré sur nous une
dégelée d’obus. Tout
mon groupe a été anéanti (tués ou
blessés), c’était tout le 1er
groupe du groupe Franc.
Etant étudiant, j’ai pu être
démobilisé très
rapidement grâce à un décret qui permettait aux
étudiants de retourner à leurs
études.
Sources :
Bulletin des Amis du Vieux Revest, n°20 d’août 1994.