Rencontre avec le 3ème
R.T.A.
en forêt des
Morières et
Siou-Blanc
Par René Poch
F.F.I. dans le groupe Camolli
Nuit
du 19 août au 20 août 1944.
Nuit
claire et sereine.
Nuit
de veille, emplie d’angoisse et de beaucoup d’espoir.
Nous savons que le débarquement allié a
eu lieu sur les côtes de Provence depuis le 15 août. Des
grondements sourds et
confus parviennent jusqu’à nous.
Pour les F.F.I., c’est veillée d’armes,
nous attendons, nous prévoyons un événement ;
celui-ci se présente à moi
sous la forme d’une cigarette allumée sous mon nez, mais quelle
cigarette ! Une Américaine « Luki ».
Immédiatement je comprends, les
libérateurs ne sont pas loin. « Miette »
Menconi bat le
rassemblement ; un guetteur en poste aux « 4
croix » est
descendu nous alerter, les soldats français bivouaquent au
Cros du Grand
Sui de Morières (le chêne de Mistral).
Nous rejoignons notre chef Louis
Camolli au « cros de Jeanne » sur la route de
« Fiéraquet »,
au nord du Revest, au pied du glacis rocheux le dominant.
Nos armes sont cachées là, sous un
petit pont ; quelles armes ! … de vieux mousquetons datant de
14/18
et quelques munitions.
Notre groupe est formé d’une douzaine
de F.F.I. ; les autres étant restés sous les ordres
de Dominique Moretti
dit « Aimé », second de Louis Camolli, au
village, ils nous
attendrons.
Nous sommes dans la pénombre, à tâtons,
et nous nous mettons aussitôt en route, marche forcée,
vers le nord en
direction des « 4 croix ».
Les premiers kilomètres sont très
pénibles, sur la draille caillouteuse qui monte, qui monte …
Nous ne parlons pas, conscients des
événements qui nous attendent ; l’on n’entend que le
halètement des
poitrines et le crissement de nos pauvres semelles au contact des
graviers, des
cailloux et des rochers qui constituent le chemin dans un paysage
lunaire.
Nous suons sang et eau, malgré la
fraîcheur de la nuit, et notre cœur bat la chamade.
Enfin ! Le plateau ; nous ne
marchons pas, nous courons, nous volons. Nous dépassons
«Roca Troca , les
4 croix et descendons vers les Morières.
Nous ralentissons l’allure ; nous
écoutons ; nous essayons de pénétrer les
ténèbres, enveloppant et
adoucissant en égalisant tous les reliefs ; les arbres nous
apparaissent
comme des décors de théâtre.
Oui, ce sont bien des voix que l’on
entend diffuses. Nous apercevons des points rouges qui bougent,
scintillent,
s’éteignent, tels des lucioles capricieuses. Nous donnons nos
impressions à voix
basse, ce sont bien des braises de cigarettes.
Soudainement, nous sommes cloués sur
place par un tonitruant : « halte-là, qui
vive ? ».
Notre chef Camolli répond en
s’époumonant : « France ».
Nous voilà reconnus, la sentinelle nous
prie d’avancer et nous conduit auprès des gradés. Le
contact est pris,
congratulations, embrassades chaleureuses.
Ces hommes engoncés dans leur étrange
tenue ; quoiqu’il fasse nuit, nous pouvons détailler ;
leur énorme
casque rond enveloppant leur tête et leur équipement. Nous
sommes ébahis ;
comparés à eux nous avons l’impression d’être tout
nus : avec nos shorts,
chemisettes, espadrilles et musettes de l’armée de 14/18,
pendouillant à nos
maigres épaules.
Malgré tout, nous avons du culot, et
nous demandons aux gradés de se mettre en route. Il doit
être deux heures du
matin et il faut arriver à la pointe du jour au Revest pour
créer la
surprise !
Les gradés ne sont pas notre avis et
nous demandent de tempérer notre ardeur ; d’une part il
faut l’ordre du
P.C. (installé à Siou-Blanc) et d’autre part, les hommes
ont besoin de repos, après
une marche forcée depuis Montrieux le Jeune (une
vingtaine de
kilomètre).
En effet, les gars sont allongés à même
le sol, sur les cailloux, dans tous les sens, ou bien fumant une
cigarette. En
attendant le café qui ne viendra pas car le feu est interdit.
Ensuite, un gradé nous dirige vers
Siou-Blanc où nous sommes attendu. Louis Camolli
laisse un petit
groupe sur place et amène les autres avec lui ; notre
groupe se compose
de :
- Georges
Soma,
- « Miette »
Menconi,
- Benoît
Muriaccioli,
- René
Poch,
- Ainsi
que notre chef.
Nous rencontrons le commandant Rocquigny, au
croisement des pistes Daumasse/Grand Cap et Siou-Blanc/le Revest.
Discussion
entre gradés, puis le bataillon s’engage sur le sentier, en file
indienne
conduisant vers le vieux jas d’Orvès et le
Broussan. Soudain
la colonne stoppe : le colonel de Linarès rejoint le
commandant Rocquigny
dans le sentier. Ils sont impressionnés par la masse majestueuse
du mont Caume
qui apparaît au sud/sud-est.
Nous apercevons nettement les superstructures
du fort.
Nous sommes sûrs et certains qu’il n’est pas armé. Nous y
avons fait une
incursion deux jours auparavant. Cependant les gradés demeurent
sceptiques. De
Linarès envoie des éclaireurs, guidés par
« Miette » sur le Caume, et
Rocquigny fait reprendre la progression. Il faut absolument être
tôt aux
lisières Ouest de Toulon et couper la route Toulon/Marseille.
Il est cinq heures environ, de Linarès
laisse le
bataillon de Rocquigny pour reprendre sa Jeep et rejoindre
la colonne
de gauche du bataillon Ruault qu’il retrouvera vers 6
heures entre
Roca Troca et la citerne d’Estienne.
Cette colonne a démarré vers 5
heures du Chêne Mistral,
il leur faut des guides sûrs ; je demande donc à
Louis Camolli
l’autorisation de me porter au devant de cette colonne qui risque de se
trouver
en difficulté sur le plateau ; accord donné, je file
au galop, par un
raccourci et j’arrive sur le plateau, à Roca Troca, alors
que la colonne
est déjà engagée.
Je rejoins la tête au lieu dit
citerne
d’Estienne ; je fais stopper et faire demi-tour car il ne faut pas
emprunter le chemin charretier conduisant au Revest, il est à
découvert et trop
exposé aux tirs des forts Faron et Coudon, ceux-ci
étant fortement armés ;
à l’ouest, aucun risque, le Caume est désarmé.
Alors, je prends la tête en compagnie
de l’aspirant
Serette, de la compagnie Vieules suivi d’Etienne Camolli (16 ans),
fils de
Louis, Guy d’Ollonne (17ans), Dominique Grandi, Benoît Muraccioli
et les
tirailleurs bien sûr.
Nous plongeons en file indienne, à
vive allure vers le
Revest dont on aperçoit la tour émergeant de la brume.
Nous nous arrêtons un
instant sur une arrête rocheuse, lieu dit « Les
Abeilles »,
l’aspirant Serette observe aux jumelles le village et ses alentours,
tout est
calme. Il donne nos positions à ses supérieurs
hiérarchiques par radio
« talkie-walkie ». Notre arrêt permet aux
hommes de serrer et de se
regrouper. Nous repartons au pas de course, passons devant la mine de
bauxite à
la stupéfaction des familles revestoises réfugiées
là. Nous empruntons le
chemin des Baumettes, nous passons devant la propriété du
docteur Mouttet (où
sera établi le P.C. quelques heures plus tard), nous passons par
le chemin de
la Luzerne (nous ne voulons pas affronter les Allemands par
l’ouest, trop
de risque pour la population) et nous arrivons derrière
l’église. Aimé Moretti
nous y attend. Il suivait notre progression.
Après une brève concertation,
nous nous
séparons ; Moretti engage le combat dans la rue où
déambulent quatre
Allemands, il les met hors d’état de nuire avant que ceux-ci
n’aient le temps
de riposter. Serette et moi-même contournons le village par le
nord-est de la
Tour. Nous nous trouvons au dessus du barrage et du mamelon
du Colombier où est installé un nid
de mitrailleuses. Les Turcos ont aussi tôt fait de le
neutraliser,
sous une riposte mal assurée des Allemands surpris.
Une compagnie guidée par Moretti et
son groupe, fonce
vers le barrage, engage le combat avec une section allemande arrivant
en camion :
plusieurs ennemis sont tués et 17 sont faits prisonniers. Les
F.F.I. s’emparent
du camion, armes et munitions.
Retour au Revest et arrivée, avec leur
trophée, place
de la Mairie, sous les ovations de la population. Bonne prise, les
mousquetons
récupérés serviront à armer les volontaires
qui vont encadrer et emmener les
nombreux prisonniers allemands vers le nord, via Roca Troca , au
camp du
Castellet.
La progression continue vers Toulon par la
vallée de
Dardennes et des Moulins.
La
libération de Toulon sera définitive le 28 août
1944.