En
1944, les résistants du Groupe Dionisi attaquent le château de
Entretien avec Lucien
Scolca
Les Amis du Vieux Revest : Il est évident que vous êtes plutôt
jeune par rapport à de nombreux combattants de la guerre 1939/45.
Lucien Scolca : C’est exact, je suis rentré dans
A.V.R. : Comment avez-vous contacté la résistance ?
Lucien Scolca : J’habitais au Fort Rouge. Lors des alertes,
pendant les bombardements, nous nous abritions dans une grotte sur les pentes
du Faron. C’est là qu’un jour j’ai rencontré deux jeunes qui
m’ont dit qu’ils étaient résistants : j’ai proposé mes
services. Á cause de mon jeune âge, ils ont refusé. J’ai dû insister en
faisant remarquer que je pouvais être utile, par exemple, comme agent de
liaison. J’ai donc pu rejoindre un groupe, celui de Dionisi qui
appartenait à la 13ème Compagnie des F.F.I. du Var.
A.V.R. : Rejoindre le maquis, est-ce rejoindre une armée
secrète avec des règles de vie très militaires ?
Lucien Scolca : Absolument pas. Á partir de 1943, nous étions une
quinzaine dans un cabanon qui se trouvait dans l’actuel lotissement de
A.V.R. : Aujourd’hui, cet endroit paraît être très
proche de Toulon !
Lucien Scolca : Aujourd’hui, oui. Mais à cette époque,
c’était le bout du monde. Les conditions de vie dans ce cabanon étaient
d’ailleurs très précaires. L’inconfort était total.
A.V.R. : Quels étaient vos moyens militaires ?
Lucien Scolca : Ridicules. Quelques vieux fusils, quelques vieux
pistolets, quelques Sten et un fusil mitrailleur. Il a fallu attendre la prise
de la boulangerie allemande de Dardennes pour que nous soyons vraiment armés.
Nous cachions d’ailleurs une partie de nos armes dans une carrière qui se
trouvait à l’angle de la route de
A.V.R. : Le Groupe Dionisi était-il intégré à
l’ensemble du mouvement de
Lucien Scolca : Ce que je sais, c’est qu’après le
décrochage du maquis de Siou-Blanc, sur l’ordre de Salvatori, des groupes
sont partis dans toutes les directions, certains au Revest, d’autres à
Dardennes dont Dionisi.
A.V.R. : En août 1944, vous participiez à la libération de
la vallée, comment cela s’est-il passé ?
Lucien Scolca : Les Allemands tiraient du Faron des obus de
mortier dans la vallée. En bas, ils étaient rassemblés par endroits où nous les
attaquions. Il y avait le Premier Bataillon de Choc, le 3ème
Régiment des Tirailleurs Algériens (3ème R.T.A.) et quelques
résistants. Nous faisions le coup de feu, puis nous partions. Cela allait très
vite.
A.V.R. : Les combats ont-ils été durs ?
Lucien Scolca : C’était une guerre, parfois les combats
étaient violents, parfois les Allemands se rendaient facilement, peut-être
fatigués par cette guerre. Mais il y eut aussi des actes indignes de leur part.
Sur la route actuelle de la cité Lambert, des soldats allemands se sont avancés
les bras en l’air, comme pour se rendre. Les soldats français se sont
découverts. Des soldats allemands ont alors plongé au sol et d’autres
Allemands, cachés, ont tiré à la mitraillette tuant quelques français. Nous
avons riposté au lance-flammes.
A.V.R. : Et puis ce fut le tour de la boulangerie
allemande de Dardennes ?
Lucien Scolca : Oui. Nous sommes descendus par la rivière
jusqu’à Dardennes. Nous étions avec le 1er Bataillon de Choc.
Trofimoff : Effectivement, j’ai rencontré alors le
capitaine Torri. Il avait soif, je lui ai donné de l’eau.
Lucien Scolca : C’était le point le plus avancé du 1er
Bataillon de Choc. Nous devions occuper la maison des Monteux qui était en haut
d’une petite colline.
Trofimoff : J’ai conduit le capitaine Torri accompagné
de deux Algériens par le portail en bois de la propriété des Monteux.
Lucien Scolca : Nous sommes restés deux jours et deux nuits dans
cette maison vide. Dès le début, un soldat du 1er Bataillon de Choc
en voulant regarder par une fenêtre a reçu une balle en pleine tête. Il a
agonisé à nos cotés pendant ces deux jours : c’était horrible.
Trofimoff : La maison était vide car les Monteux avaient été
dénoncés aux Allemands en raison de leur appartenance religieuse. Ils étaient
partis à vélo quelques jours avant la venue des Allemands dans leur maison.
Lucien Scolca : Nous voulions attaquer la boulangerie qui se trouvait
en contrebas, mais l’officier du 1er Bataillon de Choc avait
ordre de garder ce point d’observation et non pas d’attaquer la
boulangerie. Il refusa de venir avec nous. Le groupe Dionisi a donc attaqué
seul.
A.V.R. : Vous avez attaqué sans connaître ?
Lucien Scolca : Nous connaissions bien car l’un des nôtres,
Montaperto, était coiffeur et était venu souvent couper les cheveux aux
Allemands dans la boulangerie allemande. Nous avons attaqué à l’aube. Les
Allemands étaient à droite en rentrant. C’est Pescatore qui a tiré le
premier en détruisant le portail en bois avec son fusil mitrailleur. Le combat
a été bref car les Allemands ont été surpris. Nous n’avons pas eu
de perte, les Allemands un ou deux blessés.
Trofimoff : Je me souviens parfaitement, après, de la distribution
de pain et de farine. Nous n’avions plus rien depuis quelque temps au
hameau.
Lucien Scolca : Nous avons distribué le pain et la farine à de
nombreuses personnes qui habitaient les grottes en bordure de la rivière. Je me
souviens d’un homme âgé qui a voulu emporter un sac de 100 K de farine.
Il a plié sous le poids, mais est quand même parti avec son sac.
A.V.R. : Et puis ce fut la destruction du char ?
Lucien Scolca : Oui. Deux chars Allemands sont passés devant
l’entrée de Dardennes. Le 1er Bataillon de Choc avait un canon
sans recul en poste. C’est ce canon qui a détruit le char.
L’équipage du char a brûlé vif, c’était affreux. Le second char a
continué vers
A.V.R. : Vous avez alors quitté Dardennes pour
Lucien Scolca : Non. Nous sommes restés au hameau. Nous avions
trouvé un lapin et avions demandé au boulanger du hameau de nous le faire
cuire. C’est ce qu’il fit devant sa boulangerie. Les obus de
mortier, tirés du Faron, ont interrompu notre repas. Nous nous sommes cachés
dans le béal, les pieds dans l’eau. Quand nous sommes ressortis, les obus
avaient détruit le foyer où cuisait notre lapin. Il y eu d’ailleurs des
morts parmi la population.
A.V.R. : Et puis ce fut la libération du château de
Lucien Scolca : Un officier (du 1er Bataillon de Choc
ou du 3ème R.T.A. ?) nous a demandé de participer à cette
attaque. Il a d’ailleurs été agressif à notre
égard : « Ceux qui veulent venir, viennent, les autres
restent ! ». Nous lui avons rappelé que nous combattions déjà depuis
longtemps et que nous irions tous. Nous étions nombreux autour du château.
C’était un hôpital, avec sa grande croix rouge. Des coups de feu étaient
tirés de cet hôpital, c’était la raison de notre attaque. Le combat a
duré de 1 heure à 1 heure 30. Les Allemands se sont rendus. Á
l’intérieur, il y avait des médecins et des infirmières sans arme,
soignant, opérant des soldats Allemands. Mais il y avait surtout des Mongols
qui avaient jeté au sol des blessés Allemands pour leurs prendre les matelas
qu’ils avaient mis en protection aux fenêtres. C’étaient eux qui
tiraient. Quand je suis entré dans le château, un Mongol, les bras en
l’air, a voulu me donner des cigarettes en me
disant : »Camarade ». Alors qu’il venait de nous tirer
dessus, voilà qu’il voulait que nous soyons camarades ! J’ai
écrasé au sol son paquet de cigarettes et lui ai mis mon fusil sous le menton,
il a compris et s’est tu. Il faut se rappeler que les Mongols étaient
recrutés par les Allemands pour s’occuper spécialement des résistants.
A.V.R. : Avez-vous eu beaucoup de pertes ?
Lucien Scolca : Non, aucune. Seuls les Mongols voulaient se
battre. D’ailleurs les médecins Allemands ne voulaient absolument pas
transformer cet hôpital en camp retranché.
A.V.R. : Vous êtes alors descendu à
Lucien Scolca : Nous avons pris la route de
A.V.R. : Á
Lucien Scolca : Oui. Il y avait une grosse concentration de
militaires français. Ils avaient tout tenté contre les portes blindées. Ils
avaient même collé des explosifs magnétiques sur les portes, mais en vain. Le
groupe Dionisi n’était qu’observateur. Nous étions en face, de
l’autre côté de la rivière.
A.V.R. : Et puis ce fut l’explosion ?
Lucien Scolca : D’une violence inouïe. Nous avons été
projetés au sol, les uns sur les autres. Des blocs de rochers ont volé très
haut. Cela a dû faire 300 ou 400 tués. Les corps étaient déchiquetés.
C’était l’une des quatre galeries qui a été détruite. Nous ne
saurons jamais qui a fait exploser cette galerie. Mais je pense qu’un
char français a réussi à toucher une mine marine, mine de grande taille,
stockée à l’intérieur et cela lorsque les Allemands ont ouvert leur porte
pour laisser tirer au canon leurs propres chars. Je ne vois pas d’autre
explication.
Trofimoff : J’étais chez moi quand
Lucien Scolca : La locomotive a été éjectée de la Poudrière
à travers le mur d’enceinte.
Trofimoff : Le moulin qui se trouvait en face a été
entièrement détruit.
Lucien Scolca : Je me souviens de trois Allemands gravement
mutilés sous le pont en bois, en face de l’entrée. L’un
d’entre eux souffrait horriblement. Il nous a fait comprendre avec les
mains qu’il souhaitait qu’on l’achève d’une balle dans
la tête. Malgré leurs états désespérés, ils ont été brancardés par les
militaires français en direction d’un hôpital. Parmi les victimes, il y
avait des civils.
Trofimoff : Peut-être des requis du S.T.O. ?
A.V.R. : La prise de
Lucien Scolca : Non, pas tout à fait. Le groupe Dionisi avait la
garde de
A.V.R. : Quelque temps après, vous avez trouvé le charnier
du vallon de
Lucien Scolca : Il s’agissait de dix résistants. Ils
avaient été pris trois mois avant
Sources : Entretien de Lucien Scolca avec Claude Chesnaud, Bulletin des Amis du Vieux Revest n°20, août 1986.
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