JACQUES CHANTELOT,
LE SCULPTEUR DES PIERRES
DU REVEST
Par Emile Roché
Jacques Chantelot
habitait au Revest les Eaux où il louait depuis 1973,
au quartier Mastaba, une petite maison appartenant à la famille Echevin. Il y
est resté jusqu’à sa mort en 2004 et sa compagne continue à y habiter.
Il est né le 26 octobre 1938 à Lyon dans
le 3ème arrondissement, il avait son domicile à Bron.
Son enfance passée à Lyon, à 15 ans il
quitte le giron familial et va vivre dans un centre d’apprentissage : la
« Maison des jeunes ouvriers » pour une formation de photographe.
Le jeune Jacques avait besoin d’espace
et cherche à découvrir d’autres horizons. Il s’engage dans l’Armée à 18 ans et
se retrouve en Algérie en période de guerre. Il y reste jusqu’en 1961.
En dehors des contraintes de l’Armée et
du climat en Algérie, il a beaucoup médité et beaucoup lu : une
littérature diversifiée mais toujours dans un but de recherche et avec beaucoup
de curiosité.
De retour à Lyon, tout est à
recommencer. Il essaie plusieurs emplois, mais rien ne le satisfait. Son sens
artistique le pousse vers l’artisanat. Il monte une petite fabrique où il
travaille le bois : motifs artistiques, petits meubles. Mais le besoin
d’évasion le reprend.
En 1973, il se reconvertit en conducteur
routier et va un peu partout livrer du matériel par les routes d’Europe. Dans
sa cabine de conduite, il a installé une bibliothèque et là, sur les aires de
repos, il continue à lire et apprend beaucoup de choses. Ayant une grande
mémoire, retenant les noms les plus rébarbatifs, il tire un grand profit de ses
lectures et c’était un enchantement de parler avec lui.
Comme entre temps il avait connu
Isabelle Pupier, sa compagne de toujours, il a voulu
stabiliser sa vie et quitter le métier de conducteur international.
Ayant de la famille dans le midi, il a
cherché en 1973 un refuge et l’a trouvé au Revest.
C’est à Mastaba, avec sa compagne, qu’il a installé son nid, dans une petite
maisonnette où ont séjourné le peintre provençal
Gabriel Amoretti et Marius Echevin. Qui pouvait-il
trouver de mieux afin de satisfaire ses rêves et se mettre à créer ?
Il reprend ses pierres, sa ferronnerie
d’art (animaux en fer forgé), fait des maquettes de toutes sortes, étudie la construction
navale et les secrets des mâtures. Certaines de ses maquettes navales sont
vendues au musée du fort Balaguier et y sont
exposées. Une charrette de forçats mérite, entre autres, une parenthèse. Elle
est exécutée en bois, à une échelle donnée, d’après un plan de l’époque
découvert aux archives de
Des maquettes de bateaux à la mer, il
n’y avait qu’un pas qu’il a franchi en redonnant la vie à un vieux petit bateau
à voile pour naviguer avec succès autour des Iles d’Hyères. Il l’avait baptisé
« Badinguet » surnom de Napoléon III et nom de l’ouvrier qui lui
avait donné ses habits pour s’évader du fort de Ham. Allez chercher
pourquoi ? …
Puis la sculpture de la pierre l’a
repris, une nouvelle passion s’est ouverte à lui pour la pierre du Revest si difficile à sculpter : il s’est obstiné, a
produit énormément et est arrivé à un style personnel et de très beaux
résultats.
Ces quelques photos vous feront
apprécier son style si particulier dans la sculpture, et pour voir une de ses
pierres il vous suffit d’aller à la maison des Comoni
au Cabinet des Monnaies, où la pierre qu’il a offerte à
Autodidacte, Jacques Chantelot
avait des idées bien personnelles, et il était honnête envers lui-même.
Intelligent, sobre, bon, serviable, dur
envers lui-même, il a lutté sportivement contre la maladie.
Il a fait ce qu’il a voulu, il a été
heureux. Pour illustrer le caractère de Jacques lors d’une de ses dernières
œuvres en 2002 : «
Par la suite il a éprouvé le besoin de
montrer son savoir faire et de le communiquer aux autres. Il s’est « exposé »
en train de travailler dans une cabine anti-éclats, lors des fêtes du Revest et même à Toulon où il s’était fait des amis et
exposait ses pierres.
En allant plus loin, il a été à l’origine
de la création d’une école de tailleurs de pierre, taille à l’ancienne (il y
tenait beaucoup). Il a écrit une lettre à la mairie du Revest
dans ce sens qui dit tout de sa pensée et de ses rêves.
Voisins directs de Jacques, sa présence
nous manque beaucoup. On le voyait en pleine nature,
au froid l’hiver, au mistral bien souvent et l’été le matin avant les grosses
chaleurs, marteau et burin en main. Le Toc Toc Toc du sculpteur se mêlait aux bruits agréables de la
nature, du coq qui chantait, prélude aux champs des cigales.
Toutes ses pierres avaient un secret, un
sens, bien souvent ésotérique que je n’ai pas le temps ici de décrypter.
Quelques titres de ses œuvres posent des points d’interrogation et c’est ce
qu’il recherchait : Mohenjo Dorô
sarrasin celto ligure saillant. Macro motifs SCL Equns
bipes Trutomu etc. …
Dans sa série des poissons de
Il est triste de savoir qu’il nous a
quittés le 17 février 2004 après une période d’un an et demi de coma.
Lui qui avait encore bien des choses à
nous dire où à nous faire penser !
Mais il a laissé des traces et sa
compagne Isabelle Pupier est la fidèle gardienne de
ce qu’il a produit. C’est elle qui m’a
soufflé cet article modestement reproduit.
LETTRE DE JACQUES
CHANTELOT À
-
Suggestion pour une utilisation artisanale et manuelle de la
pierre du Revest (gisement en site communal) avec,
dans un premier temps, l’exploitation des blocs épars autour du stade (calcaire
et calcaire dolomitique) blocs dont l’origine est l’agrandissement du stade il
y a 17 ans environ.
-
Travail manuel : après apprentissage cette roche se prête à la taille
et à la sculpture. Ses qualités particulières, assez rébarbatives (structure
chaotique, dureté, éclatement) la rendent sans doute impropre à l’exploitation
mécanisée « rentable ».
-
Réserver ce
matériau pour un usage communal et
dans un but « éducatif » (la formation d’un individu « devrait
passer par l’atelier ») pourrait susciter des vocations parmi la jeunesse.
Voici l’ébauche d’un projet dont
l’étude est à faire par un collectif de personnes compétentes en matières
administratives, financières, légales, etc.
-
Le projet repose sur la proposition suivante : la
formation locale « in situ » de tailleurs de pierre/sculpteurs à
partir de la jeunesse revestoise hors scolarité
obligatoire, sans emploi ni perspective de vie.
-
Après
consultation de cette jeunesse probable et si un nombre significatif de volontaires
motivés se révèle (minimum 3 personnes ?), organiser avec le
concours rétribué d’un professionnel de la taille de pierre/sculpteur une
« formation rationnelle accélérée », théorique et pratique de
tailleur de pierre/sculpteur, modulée selon un protocole qu’il reste à établir.
Les élèves apprentis seraient rémunérés.
-
Le coût du projet
devrait être « supporté » par une fraction du revenu des carrières en
exploitation et bénéficier d’aides départementales et régionales ( ?).
-
Justification
du projet : établir, avec l’aide
des Amis du Vieux Revest, la liste des constructions
en pierre, anciennes, sises sur
-
Dans le cadre de
la formation à la taille de la pierre, un travail manuel collectif
pourrait être décidé, 2 exemples :
1- Construction d’un monolithe
pyramidal en marbre de Tourris, dont les
dimensions seraient limitées par la masse, celle-ci limitant le volume,
2- Idem pour l’érection d’un parallélépipède
dont une des grandes faces serait ornée d’un relief
géométrique (la spirale à quatre centres) et l’autre face divisée en autant
d’espaces qu’il y aurait de participants, où chacun pourrait exprimer un projet
personnel, avec l’accord d’une commission ad hoc.
-
A fonds perdus,
pendant une décade peut-être, les conséquences de ce projet sont imprévisibles.
Deux certitudes : l’idée en est lancée
et marbre de Tourris et strates dolomitiques
(gisement non estimé ?) de l’urgonien du Revest sont à disposition. Notre époque technocratique et
fulgurante condescend quelquefois à faire la part du rêve, et souvent dans le
sens de « réalisations » très farfelues, faites de bouts de laine ou
de déchets en plastiques.
-
La pierre du Revest, puissant témoin géologique, nécessite effort et technique
pour livrer les secrets qu’elle cèle et recèle. Des talents dorment peut-être
dans
N.B. : Tailler la pierre avec des
outils manuels peut sembler rétrograde, anachronique, « passéiste ».
Entre le vacarme d’un outillage
mécanique et sa poussière, ou le travail « qui laisse le temps de la
réflexion » dans un silence relatif, il faut choisir. Le résultat d’un travail
manuel peut être sans commune mesure avec celui d’un travail « fait
machine ».
Une pratique modeste et en amateur de la
taille de pierre manuelle fait paraître vain un gain de temps lié à la taille
mécanique en regard du désintérêt pour son travail et pour la matière que
génère, chez l’ouvrier artisan, l’utilisation de la machine.
Un texte de Jean-Claude Bessac, tailleur de
pierre, archéologue, chercheur au CNRS, illustre très bien ce
propos :
« Actuellement, l’abandon
progressif et probablement irréversible de l’outillage traditionnel de la
taille de pierre et des techniques qui s’y rattachent modifie profondément les
rapports entre l’artisan et son milieu professionnel. Avant l’industrialisation
de ce métier, le bruit, la poussière et le danger potentiel des machines
étaient réduits au minimum. L’ouvrier pouvait communiquer avec ses collègues de
travail de tout en poursuivant la taille. L’utilisation des procédés
traditionnels permettait aux mêmes tailleurs de pierre d’effectuer toutes les
opérations depuis le débit des blocs bruts de carrière jusqu’aux retouches sur
place après la pose de l’élément terminé. Ainsi, l’artisan s’attachait à son
œuvre et cherchait à se perfectionner au maximum. L’industrialisation de la
taille de pierre contraint aujourd’hui l’ouvrier à effectuer la même opération
à longueur de journée. Souvent, il ne sait même pas d’où vient et où va son
bloc de pierre. Ses seules aspirations n’ont plus d’autres issues que
l’approche rapide de l’heure de la sortie, de la date des congés et enfin le
jour de la retraite. Il serait donc possible dans le domaine technique de
reconsidérer le rôle profond de l’outillage traditionnel de taille de pierre en
ne le situant plus seulement dans le domaine technique mais aussi en étudiant
les conséquences indirectes de son emploi sur le plan humain. »
La formation (de tailleur de pierre
etc.) « in situ » serait originale par
rapport à celle dispensée sans doute dans les centres de formation (FPA par
exemple) dont le but est de former les ouvriers « rentables » pour
l’industrie du Bâtiment et du Funéraire sans souci du développement mental des
individus
La formation proposée ici irait de pair
avec une réflexion élaborée à partir de connaissances multiples
« transmises », par exemple, sous forme de conférences par les
personnes désireuses de partager un savoir (et cela au gré de leur
disponibilité, sans la contrainte d’un « programme » à respecter). La
taille de pierre, action directe avec et sur la matière, n’atteint-elle pas une
dimension cosmique lorsqu’elle est pratiquée avec la conscience de
l’universalité des phénomènes et de leur intrication ?
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