Entretien avec Patricia
Aude-Fromage
Il aurait sans doute détesté que l’on parle de
lui, parce que Charles, qui aimait tant connaître l’histoire de son village, de
son pays, des gens qui avaient participé à son histoire, n’aimait ni la gloire
ni le pouvoir.
Du plus loin que je me souvienne, et je suis
son aînée de 3 ans et quelques mois, j’ai toujours vu Charles les yeux ouverts
sur tout ce qui l’entourait, par passion.
Les gens d’abord, et les choses. Les choses
c’était les pierres, les carrières, l’eau, les fontaines, les ruisseaux, le
barrage. Le cimetière par exemple, a toujours été un lieu où il aimait se
promener. Il connaissait les concessions par cœur, qui était enterré ? avec qui ?, pourquoi ?. Les liens de parenté, d’où
il ou elle venait.
En 1973 ou 1974, j’habitais à Béziers et
c’était pour moi l’année du BAC. Lui était en 3ème et il est venu
passer un week-end avec moi pour me faire réviser l’histoire du xxème siècle, qu’il connaissait déjà parfaitement.
Le Revest lui
fournissait un terrain d’étude particulier et extraordinaire. Il passait des
heures à parler avec les vieux, ceux de la famille et les autres, qu’il
considérait d’ailleurs comme étant de sa famille. Et eux le lui rendaient bien,
Charles était l’enfant du village. Il avait ce don particulier de se faire
aimer, par tous. Il respectait profondément ce qu’ils étaient, leur passé, leur
Histoire et leurs histoires aussi.
Aucun chauvinisme, pas de repli sur soi, aucun
orgueil d’être d’ici. Il aurait pu tout aussi bien être de là ou encore
d’ailleurs. Rien à prouver. Le monde est vaste mais sous ses yeux il y avait une
tranche d’histoire. Alors s’il pouvait la comprendre, la faire découvrir, y
ajouter sa pierre… !
L’histoire du « Cyprès » est
d’ailleurs très significative ; Tout petit, notre grand-père maternel nous
raconte qu’il livre la viande à des artistes un peu fous, et qu’il prend
l’apéritif avec eux l’été et qu’il les aime bien. Plus tard, Charles entrera en
contact avec eux, cherchera à raconter l’histoire de ces étés au mas, puis
rencontrera Decaris à Paris, organisera une
exposition au village…. Voilà, il faisait pour donner du sens, pour
transmettre, pour forger une identité, pour enraciner l’esprit du village.
Il espérait, plus tard pouvoir créer un musée
de la pierre et de l’eau. Parce que Le Revest s’est
fait par la pierre et par l’eau. Pour dire aux habitants ; voilà votre
Histoire. Pour le dire aux autres aussi. Parce que ce n’est ni celle de
En dehors de notre enfance commune, de nos
années lycée à Bonaparte, nous nous sommes retrouvés à Paris dans les années 1980
– 84. Il était étudiant à Sciences Po, j’étais
étudiante en Histoire à Paris X. Il a souhaité à cette époque s’inscrire aussi
à Nanterre pour faire une licence afin d’approfondir ses bases en Histoire
moderne et médiévale. Quelques années plus tôt nous avions participé ensemble à
l’enterrement de Jean Paul Sartre.
Il travaillait à la bibliothèque du Parti Socialiste,
rue de Solférino, pour gagner un peu d’argent afin de
payer ses livres et son logement à Paris. Nous nous voyions très souvent à
cette époque. Il aimait beaucoup ses neveux. Il nous livrait des anecdotes du
PS, d’avant et après les élections présidentielles de 1981.
En 1983, il entreprend très sérieusement l’arbre
généalogique de notre famille.
Lors d’un voyage en Russie, en été, il
rencontre Catherine, qui deviendra sa femme.
Nous nous retrouvions chaque été quoiqu’il
arrive au Revest pour le 15 août. Ma grand-mère
maternelle nous y attendait pour un repas de famille, et chacun partageait les
nouvelles, celles du village, les siennes, et nous nous réjouissions de la
permanence des choses. Les enfants, nos conjoints se retrouvaient mêlés à
quelque chose qui leur échappait un peu. La vie de nos racines. Cette passion
pour l’Histoire nous avait pris tout petit, à l’époque où nous retrouvions nos
arrière-grands-parents qui commentaient un livre d’Histoire de France sur leur
table de cuisine, devant la cheminée. Les livres étaient rares à cette époque
dans notre milieu social mais celui-ci valait tous les autres.
Après l’obtention de son diplôme, il intégra le
Ministère des Finances mais ne cessa ne travailler à l’Histoire du village.
Paris offrait des possibilités infinies pour
approfondir ses recherches mais son Pays lui manquait sans doute un peu trop.
L’action aussi. Il était devenu évident qu’il
devait participer à cette histoire. C’était inévitable.
Aujourd’hui, j’ai quelques difficultés à parler
de mon frère comme d’une personne exceptionnelle, qui a marqué l’histoire du
village et quelques Revestois aussi.
Je dois remercier Claude Chesnaud
et Claude Caldani et aussi quelques autres pour avoir
prolongé l’élan donné par Charles jusqu’à aujourd’hui.
Ce désir de restituer leur Histoire et leurs histoires aux Revestois,
les petites et la grande comme un patrimoine commun qui nous unit et qui nous
permet de vivre.
Ils nous donnent la possibilité de vivre en
« humaniste ». Avec cette espérance qui doit nous permettre de
franchir toutes les tragédies.
Si je ne devais retenir qu’un souvenir de mon
frère, ce serait celui d’un homme libre, heureux, lucide et rempli d’espoir.
Patricia Aude Fromage