QUI SONT LES COMONI DU REVEST ?

par Charles Aude  (1)

 

Dans son article « L’Habitat préhistorique du Revest », publié dans le bulletin n°11 des Amis du Vieux Revest et du Val d’Ardène, Monsieur Jean Joubert, membre de l’Académie du Var, a rappelé combien le passé de la commune remonte loin, ainsi que l’attestent les fouilles effectuées notamment dans les grottes de Lauron :

« La plus grande (de ces grottes) se trouve à l’ouest du Village, au bas de la falaise méridionale du Mont Caume, près de la source Charlois, l’archéologue Durand y a trouvé la mort, écrasé par un rocher. Elle a été fouillée principalement par Monsieur Véraldo en 1947-48 et nous avons refait ensemble un sondage en 1961.

Dans 1,40 m d’épaisseur de terre, quatre niveaux ont été reconnus, allant du néolithique moyen aux âges de bronze, remontent peut-être même au paléolithique supérieur. On peut signaler en particulier :

-         L’industrie lithique en silex : grattoirs sur lame, burins, haches polies en roche verte (serpentine),

-         Objets de parure : perles en roche verte, pendeloques en os,

-         Céramique : fragments de vase en pâte noire décorés de bandes horizontales de chevrons gravés après cuisson, bois à fond rond ou plat à décor digital (doigts),

-         Industrie osseuse : poinçons, rondelles, …,

-         Les restes de sept squelettes jeunes et de petite taille ; il s’agit d’un ossuaire à deux rites funéraires (entassement des os dans une fosse et plus récemment incinération),

-         Enfin parmi les animaux, des bovidés, suidés, chiens, tortues, une dent d’ours, … ».

 

 

Le Lauron, capitale des Camatuliciens ?

 

 

            Le sol de Provence était occupé depuis la plus haute Antiquité par des populations de Ligures auxquelles se sont joints des Celtes. Ces Celto-Ligures, combattus par les Grecs massaliotes étaient constitués de 13 peuplades que les textes comparés de Strabon, de Pline et de Ptolémée nous permettent de dénommer et de replacer. Parmi celles-ci, les Camatuliciens  sur le territoire de Toulon, jusqu’à l’embouchure de l’Argens. C’est pour lutter contre cette « ligue Salienne » que les « aigles romaines » passèrent le Var en 154 avant J.C..

 

            Comme chacune des 13 peuplades, les Camatuliciens « occupaient un territoire limité par des montagnes, des vallons ou des cours d’eau, avec certaines tribus de leur clientèle, qui remplissaient souvent des espaces très étendus et vivaient sous l’autorité d’un chef de famille, lui-même subordonné à l’autorité du chef de la peuplade ». Comme chaque peuplade, les Camatuliciens avaient leur oppidum.

           

            Dans l’introduction à son « Histoire de Toulon » parue en 1886, le Dr. Gustave Lambert, analysant les textes de Pline, de Strabon et de son contemporain Pomponuis Mela, en déduit que le « Lauron revestois » était l’oppidum des Camatuliciens. Pomponius Mela écrit en effet en citant les principaux points de la côte de Nice à Arles : « Après Athinapolis, Olbia et Laurion, et Cithariste, et Lacydion, port de Marseille et à côté, Marseille elle-même ».

 

            Le Laurion, capitale des Camatuliciens (selon notre auteur), est situé entre Olbia (étendue en Saint-Vincent de Carqueiranne) et Cithariste (Cereste près de la Ciotat).

 

Le Dr Lambert indique : « Son occupation par une peuplade celtique est indiquée par des vestiges, aujourd’hui cachés sous les terres d’alluvion descendues des sommets de Caoumé ; celle des Romains est attestée par des inscriptions tumulaires, de nombreuses médailles et les traces certaines de l’exploitation d’une mine de cuivre, si cette exploitation ne remontait pas aux Camatuliciens ».

 

            Nous pouvons ajouter que le « Saraillon », petit édifice servant probablement à la surveillance des eaux de la Foux100 m en contrebas au sud-est de la tour) dont le toit en lauzes imbriquées à coffrage de roseaux, est également un témoin des temps les plus reculés.

 

            Il y a donc de nombreuses traces d’occupation du territoire du Revest bien avant l’invasion romaine.

 

 

 

Les sources littéraires : Strabon, Pline et Ptolémée

 

            Né en Asie mineure entre 65 et 54 avant Jésus Christ et mort entre 21 et 25 après Jésus Christ, Strabon a écrit sa « Géographie » vers 18 après Jésus Christ. Il évoque de façon générale les Saliens (cf. ci-dessus) et les Celto-Ligures.

 

            Dans son « Histoire Naturelle » (III, 4 -34-), Pline énumère les peuples de la côte : « Citharista portus, regio Camactulicorum … ».

 

            Ptolémée, géographe alexandrin de langue grecque du 2ème siècle de notre ère, crée le trouble lorsqu’il situe sur le territoire des Camatuliciens les Comani définis ainsi :

-         Massibia urbs,

-         Tauroention

-         Promontoire de Cithariste

-         Olbia urbs

-         Embouchure de l’argentuis

-         Forum Julii, Colonia

 

Selon G. Barruol, du CNRS, dans la thèse duquel nous avons beaucoup puisé (2), le géographe a ici commis une erreur, mais le problème reste entier.

 

Cet ethnique Comani peut être rapproché avec celui des Cenomani de la plaine du Pô, avec l’anthroponyme Comanus qui est celui d’un roi des Segobrigii, peuplade sur le territoire de laquelle les Phocéens fondèrent Massalia, mais aussi avec l’ethnique Camunni du Val Camonica qui est cité sur le trophée des Alpes de la Turbie.

 

Guy Barruol indique également un rapprochement possible avec Comoni « dont la lecture est à vrai dire incertaine chez Plutarque, Cam.15 ».

 

C’est la seule référence écrite aux Comoni et j’avoue ne pas ne pas l’avoir retrouvée en feuilletant la « Vie de Camille » de Plutarque, ni dans le texte grec, ni dans la traduction française.

 

Convaincu, d’après ce qui précède d’une présence humaine sur le territoire revestois bien avant l’invasion romaine mais incertain quant à son appellation (la seule certitude étant celle de l’appartenance à la peuplade des Camatuliciens), le conseil municipal du Revest-les-Eaux, en nommant l’espace culturel « Maison des Comoni » a voulu ressusciter l’identité d’une tribu (sinon d’une peuplade –cf. ci-dessus) dont la mémoire semble s’être perpétuée par l’histoire orale.

 

 

Ieu, pitchoun, sieu uno Comoni

 

C’est M. Henri Durand qui nous a rapporté cette phrase en provençal que lui répétaient souvent sa grand-mère et sa tante.

 

« Ma tante Delphine, c’était la science de la famille », une famille qui avait ses racines au plus profond de l’histoire du Revest avec des Vidal, des Teisseire. Le nom de Teisseire serait d’ailleurs issu du métier de tisserand exercé par les ancêtres dans le quartier de Malvallon, « fief » de cette famille : ne les appelait-on pas les « Marquis de Malvallon » ?

 

Malvallon, au pied des grottes du Lauron …

Que ce nom de « Comoni » ait pu se transmettre à travers les siècles, cela interroge très sérieusement la science historique : tribu camatulicienne ? Déformation des « Comani » évoquée par Ptolémée ?

 

 

À PROPOS DES M DANS COMONI

par Charles Aude (3)

 

 

Effectivement, Pierre Trofimoff aussi bien dans l’histoire du Revest publiée en 1963 que dans celle publiée aux « Amis du vieux Toulon » indique « Commoni ».

 

Les sources indiquées sont Strabon, Pierre Bell autour d’une histoire de la Valette au 19ème siècle et le trophée de la Turbie.

 

J’ai consulté le livre de référence en la matière (cité dans tous les ouvrages, type collection Clio, etc.) et publié en 1975 : « Les peuples pré-romains du sud de la Gaule » par Guy Barruol qui analyse :

1-     Les différentes sources, littéraires et épigraphiques,

2-     Les différentes peuplades.

 

Il en ressort que :

-         Chez Strabon, on parle des Sabyeux, des Celtligures, c’est assez général.

-         Chez Pline, « Histoire Naturelle », on cite la liste des peuples et l’on peut lire les Comani (cf. Barruol, pages 208 à 210) et les Camunni inscrits sur le trophée des Alpes (cf. également note Barruol, page 209) mais qui sont un peuple des Alpes (du Val Camonica).

-         Ptolémée indique les Comani entre Marseille et Fréjus (cf. Barruol, page 209).

Nos Comoni ne sont cités dans aucune de ces sources, Barruol indique seulement la référence incertaine à Plutarque que j’ai consultée (La vie de Camille – 15ème paragraphe) et dans laquelle je n’ai pas lu « Comoni » (ni dans le texte français, ni dans le texte en grec !).

 

J’opte donc pour deux « fondements » :

-         Mes Comoni seraient une peuplade supplémentaire, plus « locale », qui se serait transmise le mot de générations en générations jusqu’à « Ieu, pitchoun, sieu uno Comoni » cité par M. Durand.

-         Mes Comoni sont des Comani prononcés avec l’accent revestois … ce qui paraît le plus plausible.

 

A mon sens, pas de problème pour intégrer mes Comoni mais personnellement je n’y mettrai qu’un M.

 

 

1- Sources : Bulletin des Amis du Vieux Revest et Val d’Ardène – N°14 – Février 1991, article écrit en juillet 1990.

Charles Aude (1961-1991), co-fondateur des « Amis du Vieux Revest et Val d’Ardène » avec Pierre Trofimoff et Claude Chesnaud en 1986.

2- Revue Archéologique de Narbonnaise : « Les peuples pré-romains du sud-est de la Gaule, étude de géographie historique. Ed. E. de Broccard - 1975 »

3- Sources : Bulletin des Amis du Vieux Revest et Val d’Ardène – N°14 – Février 1991, article écrit en juillet 1990.

Charles Aude (1961-1991), co-fondateur des « Amis du Vieux Revest et Val d’Ardène » avec Pierre Trofimoff et Claude Chesnaud en 1986.

 

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