Le moulin
à sang du Château de La Ripelle
Par Jean Meiffret
Les moulins à
« sang » sont des moulins
fonctionnant par la force humaine ou animale, c’est le système
le plus fréquent
jusqu’au 19ème siècle et au-delà
puisque l’on en trouve de nombreux
jusqu’à la fin du 19ème (arrivée de la
force mécanique). Au milieu
du 18ème siècle, on a cherché à
améliorer le rendement en remplaçant
la force de l’animal par celle de l’eau (lorsqu’il y en avait, ce qui
n’est pas
le cas à La Ripelle).
Les animaux utilisés étaient souvent
des ânes, des mulets, des bœufs et très rarement des
chevaux.
La seule force humaine était utilisée
pour remplir les scourtins. Ce remplissage, fait à la main, est
toujours
pratiqué de nos jours dans certains moulins. Aidé en cela
par des systèmes à
vis et à chapelle (pressoirs troglodytiques) le pressage
était effectué
par des hommes de forte constitution (les barrejaïros).
Pour le moulin de La Ripelle, le
fonctionnement ne pouvait être qu’à
« sang ».
Selon E. Fouque, le moulin fut
construit en 1880, en même temps que le château. Nous
pensons que la date à
retenir est plutôt 1827. Les oliviers du domaine existaient en
grande partie
avant le château. Les propriétaires ne firent
qu’améliorer la plantation au
regard de leur activité d’industriels de l’huile. Ce domaine de
96 hectares
environ appartenait à la famille Fabre, baron d’Halewin,
fortunée par la
fabrication de cierges, chandelles, savons et commerce de l’huile. Le
domaine
planté presque exclusivement en oliviers sur de très
belles restanques exposées
plein sud, protégé des vents froids, produisait un peu de
maraîchage, des
câpres, des bulbes de narcisse, des légumes secs et un peu
de céréales, tout
cela sous les ordres d’un régisseur.
Combien produisait-on d’huile dans ce
moulin ? Nous l’ignorons, mais au vue de l’étendue du
domaine, la quantité
devait être très importante. Si les Fabre avaient fait
construire leur moulin,
c’était pour ne rien perdre de la récolte, mais surtout
pour récupérer les
huiles de « ressence » impropres à la
consommation mais très utile
dans la savonnerie. Or dans les moulins privés, ces huiles
étaient gardées par
le moulinier et aucun moulin de la vallée n’aurait
été capable de mouliner une
telle quantité d’olives.
Une telle production nécessitait une
main d’œuvre
annuelle mais le moment important était bien la récolte.
Celle-ci commençait
vers fin octobre et s’étendait tout l’hiver, jusqu’à fin
février début mars.
Des dizaines d’ouvriers et d’ouvrières
participaient à
la cueillette manuelle des olives. Ces ouvrières au début
du 20ème
siècle venaient presque toutes d’un quartier italien au Pont du
Las : la
rue Navarin qui a disparu sous les bombardements de 1944.
Saisonnières, elles
montaient tous les matins par groupes et redescendaient le soir dans
leur
quartier.
Les femmes, presque toutes italiennes,
gagnaient 2 francs par jour. Les hommes étaient payés 3
francs et les enfants,
au dessus de 12 ans, 1 franc 50. Ce personnel n’était pas
nourri, mais à La
Ripelle on distribuait gratuitement une soupe chaude tous les midis. De
plus,
le domaine donnait 1 litre d’huile pour 250 kilos d’olives
ramassées.
Afin de récolter les olives, la même
méthode était toujours utilisée. Selon
l’importance de l’arbre, chaque olivier
était occupé par 1 homme (Lou Gaulaire) et 2 ou 3 femmes.
Selon la
configuration du terrain, on ramassait les olives soit au sol, soit sur
des
toiles. Pour les arbres trop hauts, les Fabre interdisaient
l’utilisation de la
gaule qui pouvait casser des branches. Un olivier produisait 15
à 30 kilos
d’olives et une équipe mettait 1 à 2 heures de ramassage
par olivier¹. 100
kilos d’olives produisaient 20 litres d’huile selon les moulins. 250
kilos fournissaient
donc 50 litres d’huile de consommation. Le reste était
destiné aux savonniers.
D’après
les anciens, Madame Fabre faisait cuire un morceau de morue dans la
première
pression pour voir si l’huile était bonne. Elle donnait,
aussitôt la récolte terminée,
de l’huile de 2ème pression (dite souvent huile de
grignons) à
l’église du Revest pour entretenir le luminaire perpétuel
de l’autel. Madame
De la route D46, on voit encore les repousses
des
oliviers du Domaine. Les oliviers ont été gravement
brûlés par le gel de 1929
et surtout celui de 1956. Le moulin à huile a fonctionné
durant un siècle,
fournissant à des centaines d’ouvriers et d’ouvrières
agricoles la substance de
tous les jours.
Madame de Sévigné
écrivait à sa fille Mme de
Grignan en Provence : « Je ne saurais vous
plaindre de
n’avoir point de beurre en Provence puisque vous avez de l’huile
admirable. »
(¹) : l’équipe était payée à la mesure, 1 mesure équivalait à environ 14 kilos d’olives.
Scourtin : mot provençal, sac rond et plat en fibre de coco dans lequel on mettait à la main les olives. Les scourtins étaient ensuite empilés et écrasés dans une presse manuelle appelée « chapelle ».
Chapelle : presse à bras avec un système anti-retour à cliquet. Cette presse était activée par de puissants mouliniers.
Huile de première pression : c’est la première huile (ou huile vierge) qui coule lorsque les scourtins sont écrasés à la « chapelle ».
Huile vierge : huile de première pression à froid, véritable jus de fruit.
Huile de deuxième pression : cette huile était obtenue lors d’une deuxième pression des scourtins, après les avoir arrosés à l’eau chaude.
100 kilos d’olives donnent 15 litres d’huile de première pression.
Grignons : ce sont les restes des olives écrasées récupérés dans les scourtins. Transformés en farine, ils étaient vendus aux boulangers pour une utilisation précise : cette farine évitait à la pâte à pain de coller sur la pelle en bois du boulanger.
Ressence : l’huile qui coulait des scourtins était récupérée dans des bacs (dits parfois de décantation) remplis d’eau. L’huile (plus légère que l’eau) était récupérée avec un outil appelé « feuille ». Les eaux et les huiles restantes étaient appelées « ressence ».
Feuille : c’est un outil plat et mince avec un manche.
Enfer : dernier bac de décantation dans lequel on récupérait les eaux grasses (ressence) qui étaient destinées, par exemple, aux savonneries de Marseille et à l’éclairage.
Novembre - février : période de la pression des olives dans les moulins.